La création africaine au service de l’ipséité

Article : La création africaine au service de l’ipséité
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26 juillet 2022

La création africaine au service de l’ipséité

Jeune visiteuse à l’expo l’Expo Art du Bénin
© Komlan Daniel

Il était accompagné de 5 ou 6 gamins. Du nombre exact, je n’ai qu’une vague idée maintenant que le temps a muré certains détails de la scène. Conscient du fait que ses enfants seraient tentés de toucher les œuvres d’art pendant la visite de l’expo  « Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui…», ce jeune père de famille les mettait en garde contre toute approche tactile. Pourtant, pendant la visite de l’installation Ati okuku dé imolè (de l’invisible au visible)  d’Éliane Aïsso, une des filles n’a pu résister au charme des *Asens et finit par légèrement toucher de l’index l’une d’entre elles, à l’insu du paternel. Puis, elle tourna la tête, croisa mon regard et me sourit, fier de son forfait.

Banale comme scène  me dira-t-on, pourtant, comme cette jeune fille ivre de curiosité, nous sommes nombreux sur le continent, démangés par l’envie de toucher quelque chose de fort qui nous vient de chez nous. Un symbole, une histoire, un mythe, des héroïnes… quelque chose qui nous ressemble sans ambiguïté, sans falsification ; encore moins moulé dans un patron venu d’ailleurs. Je ne parle pas de trouver des références africaines dans les Demoiselles d’Avignon ou de s’époumoner pour faire comprendre que si les œuvres de Basquiat sont aussi révolutionnaires, c’est parce que l’artiste avait un lien avec l’Afrique. Non, c’est bien plus que ça. Je parle de quelque  chose qui viendrait du Continent, par le Continent et pour le Continent.

Fabrique de symbole, fabrique d’espoir

Vodunaut Hyperceiver et Vodunaut Hypercyber
© Komlan Daniel

Il nous faut partager un imaginaire symbolique commun. Des réalités intersubjectives ayant pour vocation la stabilité et l’unification sociale de nos nations. Une mission dont les artistes sont le fer de lance à mon avis ; et j’entends par artiste tout africain(e) capable de créer une abstraction, une œuvre de l’esprit pouvant donner des repères communs, une cohésion sociale et une même destinée aux Africains, et par extension, aux Afro-descendants.

Pour que ce soit concret et le plus compréhensible possible, l’exemple qui me vient à l’esprit tout de suite est la série des œuvres Vodunaut Hyperceiver et Vodunaut Hypercyber de Emo de Medeiros (cf illustration ci-dessus). Des créations principalement composées de cauris et de fibres de carbone qui, prises dans un ensemble, questionnent le positionnement de l’Afrique vis-à-vis de la science et de la technologie. Mieux encore, elles se veulent futuristes dans un monde à la croisée des concepts tels que homo futuris, la mondialisation (qu’on subit), le metissage etc. Dommage que l’artiste soit parti très tôt, néanmoins le sceptre doré “recoded” de Kossi Aguessy est la preuve de la volonté de sublimer nos symboles sur laquelle j’essaie d’attirer l’attention. Dans le soucis du respect de l’aspect polysémique de ma compréhension du nom artiste, je pourrais accessoirement citer en littérature le personnage de Jean-paul Ada dans “Ceux qui sortent dans la nuit” de Mutt-lon ou Marc-Kofi Tingo du roman l’initié d’Olympe Bhêly-quenum. Il convient à tout un chacun d’être d’accord ou pas avec moi sur les exemples précités mais là n’est pas la question.

Reconnaître les clichés et les éviter

L’urgence aujourd’hui, c’est d’élever au rang de symbole d’identification nos mythes, nos traditions, nos héros dans les imaginaires collectifs pour dépasser nos complexes ou mieux en faire un art de vivre. Beaucoup d’artistes s’y sont attelés (Ousman Sow, Paul Ayhi, Fadaïro…) et d’autres continuent encore, mais ça ne suffit pas. Aux artistes d’éviter un travail bâclé parce qu’il n’est pas question d’entretenir des clichés ou de rester enfermé dans le passé. Comme le dit Simon Njami : “ il revient aux artistes de réinventer l’histoire, de l’inscrire dans le champ contemporain, sans ces oripeaux identitaires qui ne sont que des leurres tout juste bons à satisfaire les amateurs attardés d’une Afrique immuable, des simulacres qui ne parviennent pas à masquer le vide qu’ils entendent soustraire à la vue.”

*Asens : Les asens sont des objets destinés à perpétuer le souvenir des morts. Tout défunt a droit à son asen. Ce dernier est signe d’une vie réussie sur terre et de l’intégration au monde des ancêtres. La partie supérieure de l’asen reçoit des libations lors de cérémonies afin de « nourrir » l’ancêtre.

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